Je reprends l’exemple de l’industrie pharmaceutique pour analyser le cycle de vie d’un système d’influence: l’émergence, l’apogée puis le déclin.
Phase 1: l’époque des héros
Tout commence par un exploit qui marque les esprits et modifie les croyances collectives. La progression est fulgurante… Dans le secteur de la santé, on pense évidemment à Louis Pasteur et son premier vaccin contre la rage.
Dans l’article Qu’est-ce que l’influence je prends l’exemple de Martin Luther King qui a influencé profondément l’opinion publique américaine.
Phase 2: l’industrie à l’apogée de son influence
L’industrie pharmaceutique profite du prestige de la science. A l’apogée de son influence, elle fait autorité : les voix discordantes ou dissonantes ne sont tout simplement pas entendues. Autrement dit, elle fait partie du panthéon des saints de l’époque moderne. Ce qu’elle dit est incontestable et incontesté.
Jusqu’aux années 80, ce pouvoir d’influence est source de prospérité, puisque les laboratoires jouissent de la confiance des clients et des prescripteurs. Le phénomène d’accumulation de l’expertise et des capitaux a rendu le rapport de force de plus en plus inégal.
Voir Le mécanisme de l’influence: la confiance
Et aussi Le mécanisme de l’influence: l’autorité
Phase 3: l’industrie devient un « système d’influence »
A partir des années 80, les coûts de la recherche scientifique augmentent exponentiellement et les laboratoires se font concurrence sur un marché en cours de mondialisation. Face à l’incapacité de l’Etat, les laboratoires se tournent vers les investisseurs boursiers.
C’est alors qu’ils adoptent une logique capitalistique cynique contraire à l’éthique : harcèlement commercial des médecins, rachat de la presse lue par les médecins, expertises biaisées ou carrément mensongères, lobbying intense, financement de la vie politique… Face à eux, des pouvoirs publics incompétents ou passifs.
Voir Qu’est-ce qu’un système d’influence
Et aussi Le système d’influence des industries pharmaceutiques
Phase 4: début du déclin de l’influence
La phase 4 est le début du déclin d’un système d’influence. Le déclin commence lorsqu’un choc ou une rupture survient. Il est très lent du fait de 2 éléments conjoints:
- La dissonance cognitive
Incrédulité face à une vérité qui ébranle les croyances collectives d’un groupe. L’opinion est peu sensible aux vérités révélées par des scandales (sang contaminé, vaccin contre l’hépatite B). Nous sommes dans les années 80-90, les croyances collectives qui sanctifient l’industrie pharmaceutique sont encore très fortes. Elles ne sont donc que légèrement ébranlées. Pour en savoir plus sur la dissonance cognitive: Dissonance cognitive et influence, comment ça marche ? - Le système d’influence est encore très puissant:
Certains politiciens ont à coeur de défendre les intérêts de l’industrie plutôt que celui des malades. Pour le sang contaminé, on dissimule les turpitudes du système derrière un bouc-émissaire, le méchant de service… Quant au scandale du vaccin contre l’hépatite B, il est carrément camouflé… Ne vous demandez pas pourquoi… Le système d’influence fait vivre beaucoup de monde… Pour en savoir plus: Le dossier noir de l’hépatite B
Phase 5: la perte d’influence
Cette fois, le déclin s’accélère. C’est la conjonction de 3 évènements qui provoquent une prise de conscience collective, lente mais inexorable, qui émousse le capital-confiance qui a fait la prospérité de cette industrie. Sa parole perd de son prestige et donc de son influence.
- Le basculement du rapport de force économique :
De 2013 à 2017, de nombreux brevets vont tomber dans le domaine public, ce qui fragilise la puissance financière des géants de la pharmacologie. De plus on assiste à l’émergence des médicaments génériques et à la crise du système de remboursement par la sécurité sociale. Voir Industrie pharmaceutique: la falaise des brevets - Le rôle d’Internet:
En matière de santé, les gens s’informent beaucoup sur Internet, il devient de plus en plus difficile de camoufler les informations… - L’accumulation des scandales:
Sang contaminé, vaccin contre l’hépatite B, Médiator… Cette fois, la coupe est pleine. Les croyances collectives commencent vraiment à être ébranlées. La confiance disparaît. La perte d’influence se manifeste notamment dans le peu d’empressement dont les Français ont fait preuve lors de la campagne pour le vaccin contre la grippe H1N1.
On ne peut rien faire pour contrecarrer la perte d’influence: la confiance a disparu, le cynisme de cette industrie est apparu au grand jour. Dans le prochain article, j’évoque les derniers soubresauts d’un système d’influence en perte de vitesse, j’analyse plus en profondeur la différence entre influence et pouvoir informel, toujours en prenant l’exemple de l’industrie pharmaceutique.
Pour en savoir plus:
Qu’est devenu le docteur Michel Garretta ?
L’affaire du sang contaminé (Wikipédia)
Lire aussi:
Le mécanisme de la perte d’influence