Posts Tagged ‘Système d’influence’

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Le cycle de vie d’un système d’influence

12 mars 2012

cycle de vie de l'inlfuence
Je reprends l’exemple de l’industrie pharmaceutique pour analyser le cycle de vie d’un système d’influence: l’émergence, l’apogée puis le déclin.

Phase 1: l’époque des héros

Tout commence par un exploit qui marque les esprits et modifie les croyances collectives. La progression est fulgurante… Dans le secteur de la santé, on pense évidemment à Louis Pasteur et son premier vaccin contre la rage.

Dans l’article Qu’est-ce que l’influence je prends l’exemple de Martin Luther King qui a influencé profondément l’opinion publique américaine.

Phase 2: l’industrie à l’apogée de son influence

L’industrie pharmaceutique profite du prestige de la science. A l’apogée de son influence, elle fait autorité : les voix discordantes ou dissonantes ne sont tout simplement pas entendues. Autrement dit, elle fait partie du panthéon des saints de l’époque moderne. Ce qu’elle dit est incontestable et incontesté.

Jusqu’aux années 80, ce pouvoir d’influence est source de prospérité, puisque les laboratoires jouissent de la confiance des clients et des prescripteurs. Le phénomène d’accumulation de l’expertise et des capitaux a rendu le rapport de force de plus en plus inégal.

Voir Le mécanisme de l’influence: la confiance
Et aussi Le mécanisme de l’influence: l’autorité

Phase 3: l’industrie devient un « système d’influence »

A partir des années 80, les coûts de la recherche scientifique augmentent exponentiellement et les laboratoires se font concurrence sur un marché en cours de mondialisation. Face à l’incapacité de l’Etat, les laboratoires se tournent vers les investisseurs boursiers.

C’est alors qu’ils adoptent une logique capitalistique cynique contraire à l’éthique : harcèlement commercial des médecins, rachat de la presse lue par les médecins, expertises biaisées ou carrément mensongères, lobbying intense, financement de la vie politique… Face à eux, des pouvoirs publics incompétents ou passifs.

Voir Qu’est-ce qu’un système d’influence
Et aussi Le système d’influence des industries pharmaceutiques

la phase de déclin de l'influence

Phase 4: début du déclin de l’influence

La phase 4 est le début du déclin d’un système d’influence. Le déclin commence lorsqu’un choc ou une rupture survient. Il est très lent du fait de 2 éléments conjoints:

  • La dissonance cognitive
    Incrédulité face à une vérité qui ébranle les croyances collectives d’un groupe. L’opinion est peu sensible aux vérités révélées par des scandales (sang contaminé, vaccin contre l’hépatite B). Nous sommes dans les années 80-90, les croyances collectives qui sanctifient l’industrie pharmaceutique sont encore très fortes. Elles ne sont donc que légèrement ébranlées. Pour en savoir plus sur la dissonance cognitive: Dissonance cognitive et influence, comment ça marche ?
  • Le système d’influence est encore très puissant:
    Certains politiciens ont à coeur de défendre les intérêts de l’industrie plutôt que celui des malades. Pour le sang contaminé, on dissimule les turpitudes du système derrière un bouc-émissaire, le méchant de service… Quant au scandale du vaccin contre l’hépatite B, il est carrément camouflé… Ne vous demandez pas pourquoi… Le système d’influence fait vivre beaucoup de monde… Pour en savoir plus: Le dossier noir de l’hépatite B

Phase 5: la perte d’influence

Cette fois, le déclin s’accélère. C’est la conjonction de 3 évènements qui provoquent une prise de conscience collective, lente mais inexorable, qui émousse le capital-confiance qui a fait la prospérité de cette industrie. Sa parole perd de son prestige et donc de son influence.

  • Le basculement du rapport de force économique :
    De 2013 à 2017, de nombreux brevets vont tomber dans le domaine public, ce qui fragilise la puissance financière des géants de la pharmacologie. De plus on assiste à l’émergence des médicaments génériques et à la crise du système de remboursement par la sécurité sociale. Voir Industrie pharmaceutique: la falaise des brevets
  • Le rôle d’Internet:
    En matière de santé, les gens s’informent beaucoup sur Internet, il devient de plus en plus difficile de camoufler les informations…
  • L’accumulation des scandales:
    Sang contaminé, vaccin contre l’hépatite B, Médiator… Cette fois, la coupe est pleine. Les croyances collectives commencent vraiment à être ébranlées. La confiance disparaît. La perte d’influence se manifeste notamment dans le peu d’empressement dont les Français ont fait preuve lors de la campagne pour le vaccin contre la grippe H1N1.

On ne peut rien faire pour contrecarrer la perte d’influence: la confiance a disparu, le cynisme de cette industrie est apparu au grand jour. Dans le prochain article, j’évoque les derniers soubresauts d’un système d’influence en perte de vitesse, j’analyse plus en profondeur la différence entre influence et pouvoir informel, toujours en prenant l’exemple de l’industrie pharmaceutique.

Pour en savoir plus:
Qu’est devenu le docteur Michel Garretta ?
L’affaire du sang contaminé (Wikipédia)
Lire aussi:
Le mécanisme de la perte d’influence

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Systèmes d’influence: la guerre contre Servier

19 février 2012

Le scandale du Médiator, quand des systèmes d’influence se font la guerre...

Dans l’industrie pharmaceutique, le scandale du Médiator révèle le système d’influence des Laboratoires Servier mais aussi celui de ses concurrents… C’est un règlement de compte à OK Corral…

Le système d’influence de l’industrie pharmaceutique

  • La légitimité :
    Elle provient de l’expertise acquise en pharmacologie et leur donne un pouvoir d’influence considérable.
  • Un lobbying puissant :
    Financement des campagnes électorales (1), fréquentation des politiciens (y compris les ministres de la santé) (2), liens d’intérêt avec les membres de la commission chargée d’autoriser la mise sur le marché
  • Communication d’influence :
    Maîtrise des médias : toute la presse médicale (sauf la revue « Prescrire ») dépend financièrement des laboratoires pharmaceutiques, financement d’une grande partie de la formation médicale continue, mainmise sur l’édition (3)
    Pour plus de détails, voir: Qu’est-ce qu’un système d’influence ?

De la guerre feutrée à la guerre médiatique

Le Médiator, mis au point par les laboratoires Servier serait responsable de la mort de 500 à 2000 personnes. Les concurrents de Servier sont GSK (GlaxoSmithKline) et Sanofi-Aventis. Aux Etats-Unis GSK est poursuivi pour avoir causé la mort de 83000 personnes et a dû retirer son produit l’Avandia.

En France, le médecin qui a dénoncé les dangers du Médiator a des liens d’intérêt avec GSK, concurrent de Servier, et, sur les 11 députés de la mission d’enquête parlementaire sur le Médiator, 8 sont membres du club financé par GSK, le Club Hippocrate. Est-ce la raison pour laquelle on parle très peu du scandale Avandia ?
Voir l’article de France 24

Ce que ce scandale révèle sur les systèmes d’influence

  • Détention de l’expertise et faiblesse de l’Etat :
    Les laboratoires pharmaceutiques sont les détenteurs oligopolistiques de l’expertise de leur secteur. La sphère publique est devenue, par manque de moyens, complètement dépendante de leurs avis.
  • Un système d’influence ne peut être démantelé que par un autre qui possède un niveau équivalent d’expertise. Le scandale du Médiator n’aurait pas pu éclater sans « l’intervention » de ses concurrents, car ni les experts médicaux de l’administration publique, ni les parlementaires n’ont l’expertise suffisante pour contrer les rapports biaisés que leur fournit l’industrie pharmaceutique.

C’est un constat accablant. On peut se demander qui a organisé cette faiblesse de l’Etat et à qui elle profite… Dans le prochain article, je prends à nouveau l’exemple de l’industrie pharmaceutique pour analyser les cycles de vie d’un système d’influence et la différence entre pouvoir et influence.

(1) campagne législative de Philippe Douste-Blazy en 1993 soutenue par les laboratoires Pierre Fabre
(2) les Universités d’été de Lourmarin, le Club Hippocrate réunissant une centaine de députés et sénateurs (financé par les laboratoires GSK).
(3) en 2004, les Editions du Rocher éditaient un témoignage édifiant, « Le livre noir de l’hépatite B » de Lucienne Foucras. En 2005, ces mêmes éditions furent rachetées par le laboratoire Pierre Fabre, associé à BioMérieux, du groupe Sanofi-Aventis-Pasteur Mérieux, premier fabricant de vaccins du monde. Actuellement cet ouvrage n’est plus édité.

Pour en savoir plus:
La grande générosité de Servier envers un expert
Un ancien responsable du médicament a été grassement rémunéré par Servier
Sanofi, GSK, Servier:guerre des labos sur fond de Médiator !
Ces élus qui se font subventionner par les firmes pharmaceutiques
Comment Servier a corrigé le rapport du Sénat